Au tout début de l'aventure du jeu vidéo en France, pour les toutes nouvelles sociétés d'éditions, le challenge consistait à créer un catalogue. Et cela passait par l'édition de titre écrits par des auteurs qui essayaient de diffuser leur travail.
Grâce aux réseaux sociaux, nous avons retrouvé Stéphane Deliry dont deux titres furent édités par Cobrasoft.
Le jeune lycéen d'alors a aujourd'hui 50 ans et nous raconte, dans ce texte, son expérience commencée à l'été 1983.
"J’avais 16 ans et venais d’acquérir un Oric-1 (ancêtre de l’Oric Atmos). C’était une des premières machines grand public, après le ZX Spectrum qu’un ami m’avait montré un an auparavant. J’apprenais par moi-même les rudiments du langage de programmation « BASIC ».
Vincent, un ami avec lequel je jouais régulièrement au tennis venait de faire la même acquisition. On en parlait beaucoup et avons décidé de passer une semaine ensemble pendant les vacances pour jouer au tennis et essayer de réaliser un jeu vidéo.
Très vite, stimulés l’un par l’autre, nous ne pensions qu’à notre programmation et nos journées se sont rapidement transformées en marathons : nous nous enfermions dans notre chambre 15 heures d’affilées. Seule une coupure en début d’après-midi venait interrompre notre frénésie. Nous regardions Yannick Noah avancer, de match en match, vers sa victoire au Tournoi de Roland-Garros, et essayions d’imiter ses services-volées.
Le soir, nous dormions dans la même chambre, et nous nous renvoyions la balle, une idée en appelant une autre, afin de préparer les nouveaux éléments de programmation du lendemain.
Ce qui devait initialement n’être qu’un jeu pour nous seuls, a pris de l’ampleur, et nous nous sommes fixé comme objectif d’envoyer le jeu, quand il serait terminé, à un magazine qui publiait les programmes de ses lecteurs en rémunérant 1000 F la page.
Après une semaine, nous étions tellement impliqués dans notre projet que nous décidâmes de prolonger encore de deux semaines cette passionnante aventure et de finaliser un jeu que nous pourrions commercialiser auprès des utilisateurs de l’Oric.
Chaque soir, notre scénario s’enrichissait de nouveautés que nous essayions avec notre petite expérience, les moyens limités de l’Oric et les contraintes du BASIC de faire rentrer dans les 48 Ko de mémoire RAM.
Pour sauvegarder, il fallait utiliser des cassettes audio, à la fiabilité incertaine, et malheur à nous si nous ne le faisions pas assez régulièrement. Lorsque nous programmions chez Vincent, qui habitait en pleine campagne chalonnaise, en bout de ligne EDF, nous étions fréquemment victimes de coupures de courant et le travail de plusieurs heures pouvait se trouver anéanti…
Après trois semaines de programmation, que nous n’avons pas vu passer, nous avons terminé un jeu d’aventure intitulé "Hyperspace 4". Il faisait voyager le joueur à travers le temps dans différentes époques : en Egypte, au far-west, ou dans le futur.
J’avais entendu parler d’un salon à Avignon où se retrouvaient quelques éditeurs. Sur place, j’appris que l’un d’entre-eux était domicilié près de chez nous, à Chalon-sur-Saône. Je suis alors allé voir Bertrand Brocard, son dirigeant, qui avait ouvert la boutique "Micros & Robots". Il venait de créer Cobrasoft et cherchait à étoffer son offre de logiciels.
Il nous a donné notre chance, a fait réaliser la jaquette et lancé la commercialisation. Nous étions fiers et allions devenir riches… un rêve pour deux ados qui s’étaient bien amusés.
L’année suivante, nous avons changé de matériel et opté pour l’Amstrad CPC 464. Bertrand Brocard nous a proposé de faire un nouveau jeu. Il n’était pas nécessaire de nous pousser trop fort : nous n’attendions que cela.
C’est reparti pour un été "Tennis-Basic". Cette fois-ci, en sentant émerger un phénomène qui allait bouleverser la société, nous avons conçu un jeu sur le SIDA : « Absurdity, ou comment guérir du Sida en 110 Ko ». Le scénario imaginé par deux ados était un peu tiré par les cheveux, mais nous nous sommes fait plaisir. A priori Bertrand était content, et nous a accompagnés dans ce projet dans lequel, à son insu, nous avions intégré son identité pour lui faire un clin d’œil.
Fort du succès (très relatif) de ce nouveau programme, il nous demanda d’adapter "Hyperspace 4" au CPC 464. C'est Vincent qui s'en chargea car j’attaquais des études supérieures qui ne me laissaient plus de temps pour ces occupations futiles…
Quelques années après, Vincent travaillait dans le service informatique d’une grande banque. De mon côté, même si j’ai cessé toute programmation, j’ai fait ma carrière dans des sociétés informatiques aux Etats-Unis et en France.
Dernier clin d’œil totalement inattendu : en 2016, plus de trente ans après, j’ai reçu un appel téléphonique d’un amateur passionné de vieux jeux qui cherchait à résoudre une énigme de notre logiciel… Il avait trouvé mon nom au dos de la jaquette et avait retracé mon parcours pour me joindre et me demander mon aide !
Quelques temps plus tard, c'était Bertrand qui me contactait à son tour pour me proposer une rencontre au Conservatoire National du Jeu Vidéo - CNJV au cours de laquelle nous pourrions partager ces souvenirs lointains".
Si comme Stéphane Deliry vous avez participé d'une manière ou d'une autre à l'aventure du jeu vidéo français, quelque soit l'époque... contactez-nous pour témoigner !